La restauration du Christ et la Sainte Cène
Pour cette œuvre peinte sur panneau de bois conservée à la Paroisse Saint Guillaume de Strasbourg, le traitement semblait à première vue relativement simple. Un nettoyage, un allègement du vernis et une petite ouverture du panneau à combler.
C'est en observant avec attention les doigts du Christ que nous nous doutions cependant que le tableau nous réserverait des surprises. Lors du constat, nous avions aperçu par transparence un doigt dont la position semblait différente. A ce stade, la question était encore de savoir s'il s'agissait d'un repentir, une modification effectué par le peintre lui même lors de la création, ou si cela pouvait être une modification postérieure, ce que nous appelons un "repeint".
Après un premier nettoyage, d'autres zones suspectes sont apparues sur l'oeuvre, notamment un large repeint sur le manteau du Christ. Après des tests, nous avons choisi de retirer ces ajouts à l'aide d'un solvant soigneusement déterminé qui nous a permis de solubiliser les repeints sans atteindre la couche originale.
Lors de ces retraits, nous avons pu constater l'aspect et la position des mains originelles peintes par l'artiste: une torsion étrange des doigts de la main gauche écartés et posés sur la table tandis que la main droite arborait un majeur particulièrement long. Ces étrangetés qui font toute la saveur du tableau avaient sans doute été jugées trop excentriques par un précédent "restaurateur". En rognant le majeur trop long et en modifiant sciemment la position tendue des doigts par un fléchissement il avait choisi d'atténuer les bizarreries de cette œuvre. Ce qui nous a semblé plus curieux en revanche, c'est ce repeint venant recouvrir d'un glacis sombre la couleur verte richement chatoyante du revers du manteau entourant le Christ. Toutes ces modifications, si elle visait surement à "assagir" ou normaliser la représentation, lui avait finalement fait perdre une partie de sa valeur.
Après ces belles découvertes, le traitement de restauration s'est terminé tranquillement par le comblement de la fissure et une retouche illusionniste de cette dernière. L'ensemble de l'œuvre a enfin été protégée avec un vernis brillant anti UV. Le cadre original a également été traité par nos soins car il présentait les stigmates d'une infestation: sa structure attaquée par les insectes xylophages nécessitait une consolidation avant qu'il ne soit nettoyé et restauré.
Ainsi notre intervention d'un simple nettoyage s'est transformé en une véritable redécouverte des spécificités esthétiques de cette représentation.
Comme souvent, le travail de restauration s'est accompagné d'une véritable enquête sur l'œuvre avec son lot d'interrogations ouvertes.
Ainsi, cher lecteurs, à votre avis la position des doigts serait-elle due à un certain maniérisme de l'artiste, une lubie stylistique, ou alors serait-ce la représentation d'une tension symbolique dont nous n'avons pas encore percé le secret?